Turquie/Kurdistan - Décryptage carto - publié le 24/10/2024
Le peuple kurde est aujourd'hui morcelé à travers tout le Moyen-Orient. Avec une population estimée à plus de 40 millions de personnes et répartie à travers divers États (Irak, Iran, Syrie, Turquie), l'ethnie kurde est considérée comme le plus grand peuple apatride au monde. Les Kurdes du Moyen-Orient sont rassemblés dans ce que prévoyait le traité de Sèvres, en 1920 : la création de l'État du Kurdistan. Contesté par la Turquie, ce traité ne voit pas le jour et est remplacé par le traité de Lausanne, où aucune mention du Kurdistan n'y est faite. Depuis, les tentatives d'union de l'ensemble du territoire kurde se sont multipliées, mais sans succès.
A l'image des revendications du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), la quête d'une indépendance est progressivement remplacée par la recherche d'une plus grande autonomie. En Turquie, le PKK est engagé dans un conflit asymétrique avec le pouvoir central dans le Sud-Est du pays, à la frontière avec l'Irak. Le PKK est un organisme politique et militaire kurde. Il est caractérisé par Ankara et de nombreuses capitales occidentales comme une organisation terroriste. En effet, le PKK a mené des campagnes d'attentats contre des cibles civiles et militaires turques et s'est exposé à la contre-insurrection d'Ankara. Depuis l'échec des négociations de paix en 2015, l'armée turque poursuit sa campagne militaire contre le PKK dans le Sud-Est du pays. L'objectif affiché par du président turc Recep Tayyip Erdogan est de prévenir la sécession de cette région à majorité kurde.
Cette rivalité s'exprime également au-delà des frontières turques. En Syrie et en Irak, des territoires contrôlées par des pouvoirs kurdes gagnent en autonomie. La région autonome du Kurdistan (RAK) a obtenu un statut d'autonomie en 1991. Ce statut a été inscrit dans la Constitution irakienne en 2005. Pour autant, les tensions avec Bagdad se maintiennent. Bagdad cherche à conserver sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire tandis que l'influence kurde s'étend au-delà des frontières de la RAK. En 2017, un référendum sur l'indépendance du Kurdistan irakien a été organisé par les pouvoirs locaux sans l'accord de l'État irakien. Il a provoqué des tensions dans les zones au statut contesté. Erdogan avait également réagi en menaçant les autorités kurdes d'un blocus. Ainsi l'émergence d'une région autonome à majorité kurde est perçue comme une menace par Erdogan.
La situation est similaire en Syrie, où le pays est en proie à l'instabilité depuis le début de la guerre civile en 2011. Les FDS (Forces démocratiques syriennes), coalition militaire à majorité kurde, ont proclamé l'administration autonome du Rojava, région syrienne située au Nord-Est de l'Euphrate. Les FDS ont été créées en 2015 pour lutter contre l'expansion de Daech en Syrie. La lutte contre l'État Islamique mobilise une partie des Kurdes. Les FDS ont bénéficié du soutien occidental dans ce combat renforçant la légitimité kurde dans la région.
Les FDS sont majoritairement composées de combattants issus de l'Unité de protection du peuple (YPG), la branche armée du Parti kurde en Syrie. Ce groupe est perçu d'un mauvais œil par Ankara qui voit en lui une extension du PKK en Syrie. A l'instar du Kurdistan irakien, la Rojava est une autre administration autonome kurde située aux portes des frontières turques. L'armée turque à ainsi entrepris une série d'opération militaire à sa frontière méridionale. Le prétexte de la lutte contre Daech a été utilisé par l'armée turque pour pénétrer sur le territoire syrien. Le principal objectif des opérations menées entre 2016 et 2019 était de sécuriser la frontière turco-syrienne en établissant une zone tampon de 30 km. Elle aurait permis, selon Ankara, de prévenir la formation d'une entité hostile à la Turquie, capable d'initier les mouvements insurrectionnels dans le pays. Depuis ces opérations terrestres, la Turquie et des groupes qui lui sont alliés contrôlent des territoires stratégiques en Syrie.
Depuis l'opération Griffe-Épée lancée en 2022, en Syrie et en Irak, l'armée turque bombarde les positions kurdes jugées comme étant des bases utilisées par des terroristes. Sur les dix premiers mois de l'année 2024, près de 4 000 incidents visant des positions kurdes et impliquant les forces armées turques ont été recensés. Ces incidents sont des frappes aériennes, de drone, d'artillerie ou de missile. Les données fournies par l'ONG ACLED permettent de quantifier la répression turque sur les régions kurdes. Ankara poursuit sa politique d'élimination du PKK et étend progressivement ses actions aux autres mouvements armés à dominante kurde, que sont l'YPG et les FDS.
Comments